La fin de la Megamachine – Métamorphose
Dès 1928, le président des États-Unis John Hoover avait déclaré devant un parterre de spécialistes des relations publiques : « Vous avez assumé la tâche de créer des désirs et vous avez transformé les gens en machines à désirer sans répit ; ces machines qui tournent constamment sont devenues la clef du progrès économique”. » Le consumérisme comme religion d’État a été complété par l’introduction en politique d’un nouveau mantra : la croissance économique.
Certes, depuis que le système de l’accumulation infinie avait été mis en place au début des Temps modernes, l’expansion permanente de l’économie monétaire – car c’est juste cela que désigne notre notion de « croissance économique » – était devenue une nécessité systémique. Mais ce n’est qu’entre les années 1930 et 1950 qu’on s’est mis à mesurer cette croissance à l’échelle nationale, et ce n’est qu’après la guerre qu’elle a été officiellement érigée en but suprême de l’État. Son intronisation comme objectif politique central a alors été critiquée par une kyrielle d’économistes et de politiciens. Joseph Schumpeter estimait par exemple que réduire les performances du système économique à un seul indicateur était une « fiction forgée par les statisticiens », une « agrégation de données sans aucune signification »”.
Dans un discours officiel, le candidat à la présidence des États-Unis Robert Kennedy résumait ainsi en 1968, quelques mois avant d’être assassiné, sa critique de l’idéologie de la croissance ne rend pas compte de la santé de nos enfants, de la qualité de leur instruction, ni de la gaieté de leurs jeux. Il ne mesure pas la beauté de notre poésie ou la solidité de nos mariages. Il ne songe pas à évaluer la qualité de nos débats politiques ou l’intégrité de nos représentants. Il ne prend pas en considération notre courage, notre sagesse ou notre culture. Il ne dit rien de notre sens de la compassion ou du dévouement envers notre pays. En un mot, le PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue ?
Mais en dépit de toutes les critiques, la croissance du PIB est finalement parvenue à s’imposer dans le monde entier comme le meilleur indicateur du progrès et du « développement », non seulement dans les cercles d’économistes, mais aussi dans le monde politique et jusque dans les organisations internationales comme l’OCDE”. Du point de vue du bien commun, ce choix était en fin de compte tout aussi irrationnel que l’introduction du système automobile ; dans la logique de la mégamachine qui doit sans cesse grossir pour poursuivre son existence, il était en revanche tout à fait conséquent.
La fin de la Megamachine – Métamorphose (p 379)