La fin de la Megamachine – Vers la guerre totale

La fin de la Megamachine – Vers la guerre totale

Vers 1900, la planète entière ou presque était intégrée à l’économie capitaliste mondiale qui constitue le premier système vraiment global dans l’histoire de l’humanité. La concurrence poussée à l’extrême entre les puissances coloniales pour conquérir les marchés, contrôler les matières premières et assurer leurs sphères d’influence fut l’une des causes qui allaient finalement aboutir à la Première Guerre mondiale. Tant que la Grande-Bretagne était de loin supérieure, économiquement et militairement, à tous les autres pays, personne ne pouvait sérieusement envisager de la mettre directement au défi sur le plan militaire. Mais vers 1900, sa puissante industrie charbonnière et sidérurgique avait permis à l’Allemagne de rivaliser avec l’Angleterre sur le plan économique, et le Reich voulait de toutes ses forces détrôner l’Empire en tant que puissance hégémonique.

Ce qui est surprenant, ce n’est donc pas que la Grande Guerre ait éclaté en 1914; car les guerres étaient et restent dans le système-monde moderne un moyen ordinaire pour imposer ses intérêts. On les considérait et on les considère encore comme susceptibles d’être conduites de manière rationnelle parce que ceux qui veulent imposer leurs intérêts ne risquent en général presque rien dans le conflit. Chefs d’État, producteurs d’armes et bailleurs de fonds ne mettent pas les pieds sur les champs de bataille, pas plus que la plupart des généraux. Ce sont toujours de simples soldats et des civils qui payent les guerres de leur vie ; et même les dommages financiers sont le plus souvent répartis sur le gros de la population. Pour cette raison, la guerre est structurellement un phénomène d’aléa moral : ceux qui prennent les décisions ne risquent eux-mêmes presque rien ; et ceux qui risquent leur vie n’ont aucun pouvoir de décision » *.

Ce qui était nouveau dans la Grande Guerre, ce n’était donc pas que les gouvernements aient décidé de la faire et qu’ils l’aient ensuite faite avec une totale absence de scrupules. C’est la technologie qui était inédite, et qui en a fait la première guerre d’anéantissement conduite de manière industrielle : des millions de soldats fonçaient dans un mur de mitraille et étaient fauchés rangée après rangée tandis qu’ailleurs, la mégamachine tournait à plein régime pour produire de nouvelles munitions et acheminer par chemin de fer d’autres hommes vers une mort certaine. Catapulté par les énergies fossiles dans une nouvelle dimension et poussé par la concurrence des États dans une course à l’armement Grotesque, le complexe métallurgique a mis à la disposition des militaires des armes de tout nouveau type qui, par leur précision et leur puissance de destruction, n’avaient aucun équivalent dans l’histoire humaine : outre la mitrailleuse, le tank, la grenade, la bombe aérienne, le cuirassé à coque de fer, le sous-marin et la torpille.

La fin de la Megamachine – Vers la guerre totale (p. 312)

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