La fin de la Megamachine – Moloch
Car ces gens ne sont pas tués à coups de fusil, mais par un système économique censé incarner la « nature* ». À quel point ce système n’est ni naturel ni autorégulateur, la Grande Famine le montre d’emblée puisqu’il n’a pu être maintenu que par le recours massif à la violence physique. Sans les interventions de la police contre les affamés qui se révoltaient et attaquaient les dépôts de céréales, le « libre marché » se serait écroulé. Et comment aurait-il pu en aller autrement ? Comment un système social qui engendre côte à côte une richesse obscène et une misère mortifère pourrait-il être maintenu sans violence
La Grande Famine en Inde révèle en outre une propriété particulièrement dangereuse des marchés agricoles mondiaux : ils articulent les événements météorologiques et les prix à l’échelle globale. « Tout d’un coup, écrit Mike Davis, le prix du blé à Liverpool et les aléas de la mousson à Madras devenaient au même titre les variables d’une gigantesque équation mettant en jeu la survie de grandes masses d’humanité*. » Par conséquent, ce n’était plus seulement la où les récoltes étaient perdues que les gens avaient faim : le mécanisme de l’augmentation des prix a propagé la famine comme la peste. Dans la mesure où les paysans ont été forcés par le gouvernement colonial à produire, à la place des aliments dont ils pouvaient se nourrir eux-mêmes, des cultures de rapport destinées au marché mondial (comme le coton par exemple), ils ne sont plus capables, dès que les prix du blé et du riz augmentent trop fortement, de pourvoir à leurs propres besoins. Particulièrement à notre époque de chaos climatique qui risque de provoquer des phénomènes météorologiques extrêmes de manière encore plus massive qu’El Niño au xix° siècle, le marché agricole mondial peut s’avérer être un piège mortel. Au xxi® siècle, la survie ne pourra être assurée que par une sortie de la logique du marché.
La fin de la Megamachine – Moloch (p. 305)