Barjavel – La faim du tigre
Tant qu’on a essayé de combattre la peste avec des mots latins, elle a tranquillement dévoré l’humanité. Dès qu’on a connu et admis ses causes véritables, on a pu mettre au point des armes contre les microbes et développer contre la maladie un combat efficace parce qu’approprié. Tant qu’on continuera d’ignorer les causes véritables de la guerre, aucun traité, aucune alliance, aucune peur, ne pourront l’empêcher d’éclater et de brûler le monde en totalité ou en partie. Les guerres nationalistes ne sont pas causées par les nationalismes. Les guerres de conquêtes ne sont pas causées par le désir de domination. Les guerres idéologiques ne sont pas causées par les conflits d’idées. Les guerres économiques ne sont pas causées par des besoins d’expansion ou de conquêtes des marchés. Ces causes-là et quelques autres ne sont pas les causes véritables des guerres, mais seulement leur occasion.
Il n’y a d’ailleurs pas des guerres, mais seulement la guerre, comme il y a la mort. Comme la mort, la guerre est un phénomène biologique. C’est seulement lorsqu’on aura reconnu et admis sa véritable nature qu’il sera possible d’en étudier, atténuer, raréfier, et peut-être empêcher les manifestations. La guerre est un processus d’automutilation déclenché au sein de l’espèce humaine par la violation de la loi d’équilibre du monde vivant. Ni la loi ni l’espèce ne se soucient des individus. Mais ce sont les individus qui vont griller. C’est donc aux individus à se défendre contre l’espèce et contre la loi. Il ne s’agit pas pour eux de se révolter, ce qui serait une absurdité. On ne se révolte pas contre des lois naturelles. On ne se révolte pas, par exemple, contre la gravité. On la domine en lui obéissant. Et cela permet à l’homme de se dresser, de se tenir en équilibre, de marcher, et de s’inventer des ailes.
Barjavel – La fin du Tigre – pp. 127-128